jeudi 2 avril 2020

Pour une pédagogie scolaire et universitaire rénovée au-delà du confinement

J'ai participé hier à deux belles réunions via Zoom, en rapport avec le confinement actuel. Le matin, le CA élargi du Réseau des Ecoles Publiques Alternatives du Québec (REPAQ), l'après-midi, en tant qu'administrateur, avec les membres de l'Association Québécoise pour l'Equité et l'Inclusion au Post-Secondaire (AQEIPS). Je rapproche ces deux réunions pour en donner un aperçu car ce que j'y ai entendu et partagé m'a semblé très lié. Le point commun des deux réunions, c'est le plaisir retrouvé de se parler. Parler au groupe, mais aussi se livrer à de subtiles apartés par le "chat". Isolés physiquement, nous sommes néanmoins dans l'action au sens arendtien, politique, du terme. 

Au REPAQ, enseignants, directions, parents, chercheurs, alliés (et élèves à la prochaine réunion hebdomadaire de ce genre désormais programmée) se retrouvent pour partager sur leurs initiatives en temps de confinement, pour envisager des développements élargis et profitables au réseau (et au-delà si possible). La préoccupation première, c'est de maintenir les liens communautaires. On s'appuie sur la confiance dans l'inventivité aussi bien des adultes que des enfants. Les écoles alternatives pratiquent depuis bien longtemps les stratégies coopératives, la valorisation des initiatives, le soutien mutuel, la confiance dans le désir d'apprendre, la recherche du sens et de la finalité des activités d'apprentissage. Elles cherchent du moins avec honnêteté et obstination les moyens de toujours s'améliorer en ce sens. C'est inscrit dans leurs fondations. Alors, le moment de la crise venu, elles peuvent s'appuyer sur cette tradition et développer avec les dispositifs différents (essentiellement numériques mais pas uniquement) que la situation impose, des initiatives démultipliées de partage, de mise en commun, de réseautage afin d'animer la vie communautaire au sein de laquelle des apprentissages profitables se développeront, inattendus et surprenants. Les acteurs de l'école alternative en ont la conviction, ces apprentissages se produiront. Inutile de s'inquiéter a priori de savoir lesquels et de les diriger dans la raideur illusoire de la "continuité pédagogique" à la française. C'est l'ensemble de la collectivité et chaque individu en particulier selon son tempérament qui vont apprendre. Et la question se pose dès maintenant de porter l'attention sur ce qui est prometteur et qu'il faudra prolonger au-delà du confinement pour ne pas rester englué dans une situation qu'il est raisonnable d'estimer ponctuelle même si elle est susceptible de se reproduire. 

A l'AQEIPS, il s'agit de partager sur la diversité des situations auxquelles sont confrontés les étudiants handicapés dans leurs CEGEPs et leurs universités. En dépit de la subtile délicatesse dont sait se parer la prose administrative des directions universitaires pour rassurer, la réalité sur le terrain est moins facile qu'on voudrait le faire croire. Et les étudiants qui se trouvent pour de multiples raisons, parmi lesquelles le handicap, en situation fragile - parfois cumulée avec d'autres précarités -  sont les derniers auxquels semblent penser les thuriféraires de la technopédagogie. La conviction qu'il suffit de passer sur le canal "en ligne" les cours magistraux et les évaluations sommatives habituellement réalisées en salle de cours fait fi des difficultés rencontrées par celles et ceux auxquel·le·s sont destinés ces contenus d'enseignement. Parmi les difficultés rencontrées, outre celles de dimension sociale (isolement, perte de revenu...) il y a tout d'abord l'inquiétude de celles et ceux qui se sentent informé·e·s en derniers, tenu·e·s pour de simples exceptions dont la situation ne devrait pas entraver le train du progrès. Plus concrètement, il y a aussi les nouvelles applications de travail qui apparaissent et dont l'usage n'a pas été préparé et n'est parfois que médiocrement accessible. Sans compter les applications auxquelles les étudiant·e·s avaient accès par du matériel mis à leur disposition sur le campus mais pas installé sur leur matériel personnel. En matière d'évaluation, il y a aussi de l'inquiétude pour les ententes d'évaluation modifiées sans préciser ce qui adviendra des accommodements initialement prévus en compensation du handicap. 
A travers toutes ces inquiétudes, on sent que c'est tout une pédagogie essentiellement descendante, magistrale quand bien même elle se parfume de modernité dans ses outils et l'activité qu'elle est sensée produire chez l'étudiant·e qui est en cause lorsque survient la crise. Les pratiques et les outils de la coopération ne sont ni connus ni reconnus. Cette pédagogie qui mise sur la solitude du coureur de fond étudiant, sur la compétition, a des pieds de plomb dans une situation où il faudrait savoir collaborer et se soucier de ne laisser personne de côté. Saurons-nous en tirer les leçons pour l'avenir  et récuser définitivement le modèle industriel de la distribution des connaissances ?
(photos : collection personnelle de l'auteur prises lors de l'exposition Art Brut Japonais où la prise de vue était autorisée)

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