samedi 20 mai 2006

Rentrée 2003, j'avais écrit ça... je re-signe !

Séance de rattrapage
As-tu vu « Être ou avoir » de Nicolas Philibert ?
Moi, un peu confus : euh, non ! enfin je crois pas mais je vais me rattraper c’t été…
Comment, tu l’as pas vu, toi, l’instit… tiens v’là le DVD, tu m’diras c’que t’en penses !
Bon, ben, j’glisse la galette argentée le soir-même dans mon lecteur, histoire de pas m’faire rabrouer à la prochaine rencontre. Ambiance devoirs de vacances !
On m’a dit que vous non plus ?… ah ben ça alors ?!
Si vous voulez savoir pourquoi nous sommes encore quelques-uns, instituteurs, malgré les imprécateurs, les cassandre, les pisse-vinaigre et les capitulards qui se répandent à longueur de média dans et hors l’Education Nationale, à retourner avec plaisir dans nos classes à la rentrée, à accueillir tous les matins les enfants que les familles (et la République) nous font l’honneur de nous confier, plongez-vous dans « Être et avoir ».

Je ne veux pas faire une critique cinématographique,je n’en ai ni le goût ni les compétences, je veux seulement souligner à quel point ce film est juste, à quel point il rend justice à ce que nous avons de plus précieux non seulement au plan professionnel mais à celui des convictions les plus profondes.
En cette rentrée qu’on nous annonce agitée – le sera-t-elle et de quelles arrière-pensées – les petits-maîtres du cirque médiatique vont monter sur scène et agiter leurs marottes : ils crieront que le chien a la rage et qu’il faut le noyer, les Diaphoirus prescriront leurs amères potions. On vous débitera, venant de tous bords sur un ton docte, diverses sornettes de cette farine : que le collège unique a vécu (alors qu’on n’a jamais osé véritablement le faire commencer d’exister), que l’enfant à l’école est un élève comparable à un récipient de ferblanterie qui doit docilement passer sous la pompe pour se faire emplir d’un savoir que le maître distille sans états d’âme, que des études formelles attestent que certaines catégories sociales d’enfants ne peuvent échapper à la fatalité de la misérable condition de leurs familles, que l’école ne peut accueillir toute la misère du monde, qu’on a toutes les raisons de ne rien faire à moins que le grand soir ne survienne et inversement que le moindre gadget  pédagogique a les vertus d’une panacée. On vous dira tout et son contraire avec le contentement gourmand d’appartenir à la caste de ceux qui savent tout ce qu’il faut faire mais que la médiocrité et l’ingratitude du peuple empêche de réaliser leur grand œuvre, quand ce ne sera pas la conjoncture qu’on accusera. Lorsque pour notre malheur, des membres de cette caste accèdent aux responsabilités des cabinets ministériels, leurs beaux projets ont tôt fait de devenir des politiques de gribouille.
Nous sommes quelques uns à préférer nous en tenir à quelques convictions qui peuvent trouver leur expression et leur réalisation dans le quotidien de l’action pédagogique. Pour cela nous commençons par nous rappeler avec Péguy qu’ « une capitulation est essentiellement une opération par laquelle on se met à expliquer au lieu d’agir. Et les lâches sont des gens qui regorgent d’explications». Cette considération préalable semble avoir été écrite pour le terrain de l’éducation envahi par les discours explicatifs contradictoires puisque la pédagogie est essentiellement un art, au sens antique du terme, c’est à dire une pratique, une action. Ce qui fait notre fierté c’est la réussite d’une relation avec l’enfant de laquelle il nourrit son désir d’apprendre et satisfait son plaisir de savoir. Le premier moyen de réaliser cela c’est de répondre présent, de ne pas se défiler, de donner réponse au désir d’apprendre de l’enfant, d’être respons-able, adulte. Les moyens qu’on nous donne, la technique qu’on nous prescrit d’utiliser, l’organisation de la « grande maison », la reconnaissance qu’on en tire… ne sont que quantité seconde. « C’est avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’ayons pas prévu, mais les préparer d’avance à la tâche de renouveler le monde commun » (Hannah Arendt). Or, pour y revenir, que voyons-nous dans « Être et avoir » ? Nous voyons un maître qui, jour après jour et  modestement, et sans artifice, donne à ses petits élèves d’ÊTRE fiers et heureux de se sentir progresser, de se sentir grandir sans crainte. Nous voyons un maître qui leur donne d’AVOIR confiance, respect les uns pour les autres, faim de savoir. Et lui même, le maître, est un homme heureux.
Loin des querelles ministérielles, journalistiques et syndicales, ce petit miracle s’accomplit quotidiennement dans bien des classes, c’est un vrai bonheur d’en témoigner au prétexte de vous supplier de voir ce film.

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