lundi 25 juillet 2011

Un code de déontologie pour les enseignants... ça se discute

Je voudrais revenir sur un échange en séminaire autour du projet d'un collègue. Il a accepté de jouer le jeu d'un débat dans lequel nous ne l'avons pas ménagé. Heureusement, lui et nous savons que c'est le prix à payer pour avancer dans la réflexion. 
Pourtant, un petit caillou restait au fond de ma chaussure qui m'a occupé l'esprit tout le temps de mon retour. J'ai cherché à identifier ce qui me gênait dans l'idée d'un code de déontologie pour les enseignants. 

Je suis reparti des usages déjà existants de codes de déontologie. 
Je me suis souvenu que nous avions évoqué la médecine, le journalisme et les forces de l'ordre. Je ne connais pas le texte de ces codes en détail, si même il en existe pour les forces de l'ordre qui disposent au moins, puisque les médias nous en parlent, d'une commission de déontologie. 
Bref, dans le huis clos de ma voiture, je me suis simplement demandé ce que ces métiers avaient en commun et qui pourrait nécessiter un code de déontologie. 

Ce sont des métiers dans lesquels on fait face à l'urgence : urgence de gagner contre la maladie et la mort, urgence de comprendre l'événement et de le faire connaître, urgence de faire face aux troubles à l'ordre public. 
Ce sont des métiers dans lesquels on fait face (on choisit de faire face même) à l'imprévu et à l'imprévisible.
Ce sont des métiers dans lesquels le professionnel se trouve confronté à la souffrance voire au mal. 

Ces trois composantes : urgence, imprévisibilité et confrontation à la souffrance (d'autrui principalement) même si elles ne sont pas le quotidien permanent des acteurs, sont pour ainsi dire la raison d'être de leurs métiers.

Or, des situations marquées par l'urgence, l'imprévisibilité et la confrontation à la souffrance sont des situations dans lesquelles l'émotion peut provoquer la sidération et venir jeter le trouble dans les conduites des professionnels.
L'intégration dans la culture professionnelle d'un code de déontologie peut avoir pour fonction de protéger l'acteur de ses propres émotions et des dérèglements de conduite qui pourraient s'ensuivre et ainsi contribuer à le prémunir de la commission d'une faute. Laquelle faute pourrait subséquemment se métaboliser en culpabilité.

Il est notable qu'on fait appel à la déontologie justement consécutivement à un acte lorsqu'il y a un soupçon ou un doute sur sa licéïté et sa valeur morale et non pas constamment comme à un principe régulateur et normatif de l'action. Mais le médecin confronté à la souffrance d'un patient, à sa conviction de l'inéluctabilité d'une mort prochaine peut, et c'est humain (trop humain) être submergé par l'émotion et être tenté d'échapper au réel en travestissant la vérité dite au malade. Or, c'est le code de déontologie qui est là pour l'aider à s'en empêcher. Ou encore, tenté par l'aventure thérapeutique comme un va-tout et espérant en tirer quelque gloire, il est retenu par le "primum non nocere".  On pourrait multiplier les exemples : le journaliste pris dans la tourmente d'une guerre quoi qu'on en dise toujours injuste, le policier aux prises avec la violence individuelle et groupale... 

Le code de déontologie est une sorte de Décalogue professionnel. Peut-être même le Décalogue biblique est-il, plutôt qu'une loi, un code de déontologie humaine visant à se prémunir de faillir dans les situations d'urgence, d'émotion... lorsque la raison ne parviendrait plus à élaborer à son rythme lent, de l'éthique voire de la morale lorsqu'il s'agit du corps social.

Submergé par la colère et l'envie de tuer, l'homme qui a intériorisé le Décalogue entendra peut-être encore une voix intérieure lui dire "Tu ne tueras point", et cette voix peut le sauver du péché. Submergé par la concupiscence pour les biens d'autrui, il entendra peut-être "Tu ne voleras pas" et submergé par la pulsion érotique, il lui reste une chance d'entendre "Tu ne convoiteras pas la femme de ton voisin", etc... Ainsi le Décalogue, code de déontologie peut sauver du péché et redonner une chance à la vie en urgence, là où la souffrance et la mort menaçaient. Même l'injonction - la seule de tournure positive - "Tu honoreras ton père et ta mère" à laquelle je n'ai pas réfléchi plus avant, trouverait sans doute un talmudiste capable d'en affirmer le caractère d'urgence. 
Sortons maintenant de ce petit détour théologique qui n'était là que pour souligner l'enjeu possible de la déontologie et son possible rapport au sacré. 

Qu'en est-il au regard de ces trois métiers pris en exemple, du métier de l'enseignant. 
Il n'est qu'incidemment concerné par l'urgence, l'imprévu, l'imprévisible et la souffrance. Ces trois dimensions ne sont pas dans son coeur de métier. Il est incontestable qu'il les rencontre mais c'est à son esprit défendant.

Son métier s'apparente plus - au choix - à celui du sourcier, du stratège, de l'architecte, de l'artisan, du chercheur ... il prépare son intervention minutieusement, il pèse et soupèse la situation, il tente de maîtriser les aléas, d'écarter les troubles de l'émotion. Il prend le temps nécessaire au raisonnement, il inscrit son action dans un long processus. Au coeur même de l'action, il sait que le temps est un allié, que ses élèves ont besoin de temps.

Et lorsque ces caractères-là de son métier ne sont plus présents, c'est là qu'il perd pied - et c'est malheureusement pour lui trop souvent - c'est là qu'il souffre et se laisse dériver vers une pratique "urgentiste" qui est généralement néfaste pour ses élèves et lui. Alors, son salut ne viendra pas d'un code de déontologie comme la fortune carrée secourt le marin, mais plutôt d'un surcroît de pensée, d'une prise de recul... tout le contraire de l'urgence. 

Qui plus est, le métier d'enseignant ne s'exerce pas, comme dans le cas des trois autres métiers examinés, sur ce qui va mal, fait souffrir chez autrui ou dans le corps social (maladie, événement dramatique, désordre social...) mais tout au contraire se porte sur ce qui relève de l'élan vital (cf Bergson). L'élève ne souffre pas (en tout cas ne doit pas être conduit à souffrir) de son ignorance, qu'il ignore dans la plupart des cas. Cette ignorance que seul le maître connaît doit être traitée par ce dernier comme la source de l'appétit de l'élève, comme le lieu où il faut bouter le feu et ne pas se contenter de remplir un vase (cf Montaigne). Cette supposée ignorance, nous le savons, est plus souvent repue et quiète, sûre de son savoir imparfait mais satisfaisant toujours son détenteur. La tâche du maître est de réveiller chacun de ses élèves de sa torpeur satisfaite sans violence, sans fébrilité urgentiste... connaissant son métier, il n'est pas guetté par la faute, tout au plus doit-il concéder qu'il fait parfois des erreurs... et c'est ainsi que lui aussi apprend !

Alors, je prends le risque d'une provocation pour épicer notre débat :  le désir de déontologie, d'une déontologie inscrite dans le marbre d'un code, n'est-elle pas le signe d'une inquiétude et le risque d'une dérive ? Inquiétude devant la multiplication des situations où l'enseignant est sommé par l'institution et/ou les circonstances de produire une réponse d'urgence dans un contexte de souffrance. Risque de dérive car à intégrer cela à la culture professionnelle de ce métier, on prendrait acte de son retournement fondamental en métier endossant le paradigme de la réponse "médicaliste" , urgentiste, chargée de prendre en charge une des nombreuses formes de souffrance sociale. 

Quittant maintenant la mise à distance du problème nécessaire pour y réfléchir, je peux bien le dire : pour ma part, je cherche dans ce métier à mettre en acte et à partager mes raisons d'espérer, je cherche dans ce métier à accompagner l'élan vital qui fait, jour après jour, de mes élèves l'avenir du monde. Ainsi, j'ai le sentiment de n'avoir pas à lutter contre quelque chose, à réparer quelque chose, même si parfois la réalité semble contraire. J'ai le sentiment de pouvoir et de devoir  prendre le temps de penser, libre et responsable, sans code, l’éthique inspirant mon action. Je considère même que cette réflexion éthique s’enrichit du partage et du débat collégial. Ce qui ne contredit en rien tout le respect que j'ai pour les trois autres métiers sur l'exemple desquels je me suis appuyé.


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