jeudi 14 mars 2013

D'un Oeil Différent




C’était vraiment un très bel événement à l’Ecomusée du Fier-Monde ! Les oeuvres exposées sont vraiment des oeuvres d’artistes, qui nous touchent. (Chance, c’est juste à côté de chez nous). J’avais envoyé un petit courriel pour assister au forum du jeudi matin. On m’a répondu qu’on aimerait que je sois animateur d’une table-ronde. Je n’ai pas voulu me dérober mais c’est surtout moi qui ai beaucoup reçu et appris ! J’ai fait connaissance avec une équipe d’organisation super sympa, compétente, jeune, dynamique, pleine de projets… on en aura sûrement ensemble d’ailleurs…
Prenez le temps de visiter les sites :
http://dodevenement.blogspot.ca/
http://exeko.org/dod/
Invité comme panéliste, voici le fil conducteur de mon intervention d’introduction à la table ronde :
"Dans l’éducation des adolescents déficients intellectuels, on privilégie le plus souvent les apprentissages fonctionnels. On part d’une certaine idée de l’autonomie, limitée au projet d’avoir des individus les moins dépendants possible des services et de l’aide d’autrui. C’est une ambition dont la justification est essentiellement économique. La personne est considérée sous l’angle de ses manques et de ses besoins qu’il faudrait autant que possible tenter de combler. Comme si c’était là l’essentiel de la vie humaine et que l’expression de soi, l’expression du désir, le partage des émotions esthétiques étaient superflus et réservés à ceux qui sont en mesure d’assumer au préalable toutes les exigences de bases de leur vie économique et sociale. C’est une modalité d’exclusion tout à fait injuste. Elle organise insidieusement un clivage qui réserve aux privilégiés de l’efficience la noblesse d’une expression artistique possible et la refuse aux plus vulnérables.
Plus grave encore, l’injustice faite d’abord à ces derniers prive par là même l’ensemble de la communauté humaine d’une des voies du dialogue et de la compréhension les plus immédiates : le partage de l’émotion esthétique qui est l’expérience la plus riche et la plus simple au fond pour communiquer entre humains et se reconnaître tels.
Ainsi, la part des activités éducatives réservées à l’expression artistique devrait être fortement soutenue, non par souci de “faire joli” accessoirement mais parce que c’est essentiel."


 
J'ai tenté de reprendre mes "pattes d​e mouche" et de leur donner une forme moins hésitante que mes propos de conclusion de la matinée. Il n'y a là que l'écume des échanges dont chacun, chacune, a comme moi sans doute fait son miel. 
Pourquoi des pratiques artistiques partagées ?
Pour se réapproprier ensemble la dimension du désir dans nos existences.

Les pratiques artistiques permettent à la personne de mettre en histoire son existence. Par ses créations, elle pose des repères dans le temps qui racontent sa vie car "Rappelons-le: une vie, c'est l'histoire de cette vie, en quête de narration. Se comprendre soi-même, c'est être capable de raconter sur soi-même des histoires à la fois intelligibles et acceptables, surtout acceptables." (P.Ricoeur cité par Olivier Mongin dans "Paul Ricoeur" Seuil p126)
Or, on limite souvent aux "activités". Activités pour produire ou pour s'occuper qui n'inscrivent rien dans le temps. Chaque occasion est la même que celle qui l'a précédée.
Aller jusqu'à pouvoir se présenter comme artiste - même si c'est "artiste à ses heures" - c'est poser un élément tangible de son identité.

Nous avons aussi abordé un thème qu'on pourrait titrer : travailler à l'élasticité du cadre.
Le cadre temporel :
Les pratiques artistiques sont souvent inscrites dans la temporalité institutionnelle qui commande une fragmentation du temps. Ainsi, il y a un temps délimité pour la pratique artistique, une séance. Il faut être productif de telle heure à telle heure. Avant, c'est trop tôt, après, c'est trop tard, il faut faire autre chose, se trouver ailleurs que dans le lieu dédié. Or, imagine-t-on la vie d'un artiste structurée par de telles contraintes ? Certainement pas à moins qu'il ne se le soit imposé à lui-même.

Le cadre spatial :
Pour être artiste, ne fusse que momentanément, il faut un atelier. Un lieu dans lequel on entre et qui confère dans la période où on s'y tient, une identité d'artiste. Cette réflexion est venue à partir de témoignages sur les changements de comportements observés chez les personnes participant aux divers ateliers. Elles se conforment à l'identité requise dans le lieu où elles pénètrent. Ce n'est plus une personne définie par sa déficience qui est là, c'est une personne artiste parce qu'elle est là pour ça et que c'est le lieu pour ça. Il y a adéquation entre la personne, son projet du moment et le lieu où elle se trouve.

Cette réflexion sur le lieu de création se prolonge par le souci de permettre aux personnes de fréquenter les lieux de présentation et de partage des créations artistiques, les lieux de l'échange culturel que sont les musées, les salles d'exposition, de spectacle, les ateliers d'artistes... Comment créer si on ne peut pas se nourrir de ce que d'autres créateurs ont produit ? Si là où il est convenu de dire que l'art se donne à voir, on n'a pas sa place, on n'est pas le bienvenu, alors, on est exclu de cette part de l'activité proprement humaine.

Dernier thème : il ne faut pas attendre que les personnes atteignent l'âge adulte, l'âge auquel on commence à se demander comment elles vont occuper leur journée pour se dire que l'art serait une bonne distraction. Il faut prendre au sérieux et mettre en oeuvre une véritable dimension artistique dans l'éducation.

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