dimanche 23 avril 2023

Chaire de recherche du Canada sur les médias, les handicaps et les (auto)représentations : Engagements anthropologiques de Charles Gardou

Le professeur Mouloud Boukala a réalisé des capsules vidéos avec le professeur Charles Gardou, mon inoubliable directeur de thèse et ami. Ce dernier explique son parcours intellectuel, scientifique et humain. Passionnant !

pour voir y aller... CLIC !

samedi 22 avril 2023

APPROSH dans les Laurentides

Même si le vocabulaire employé pour parler des personnes avec lesquelles nous faisons de la musique ne me plait guère (voir ici : CLIC !), je me dois de partager le message FB du CISSS des Laurentides qui finance l'intervention : 

Le CISSS des Laurentides est fier d’annoncer la mise en œuvre d’un nouveau programme pour les clientèles vivant avec une déficience intellectuelle, un trouble du spectre de l’autisme ou un trouble grave du comportement.
Le programme APPROSH est basé sur des exercices rythmiques auprès des usagers afin de leur permettre de développer leurs capacités interrelationnelles.
Pour en savoir plus ➡️ https://bit.ly/3AqAQC9
Lire le communiqué de presse 👉 https://bit.ly/3KPJxuM

dimanche 16 avril 2023

Pénurie d'enseignantes et d'enseignants ?

On dirait que voici une société comme tant d'autres qui n'aime pas les enseignants, qui n'en prend aucun soin et s'étonne - ou feint de s'étonner - de voir se tarir les vocations pour ce métier. On dirait que cette société n'aime pas les enseignants, qu'elle prend juste l'éducation pour une charge, une dépense, certes nécessaire afin que ses enfants puissent jouer au grand jeu de la lutte de chacun contre tous dans l'attribution des places sociales et économiques. Pour cela, elle voudrait quand même que la tâche soit accomplie, alors elle y va de la plus vile flatterie et de la plus feinte commisération. Avec des phrases creuses de service comm', elle passe la main dans le dos de la main d'œuvre enseignante de temps en temps en lui disant "qu'elle fait une différence" et autres slogans lénifiants de même farine. Mais personne n'est dupe et à peine mis les pieds dans une école lors d'un stage - et pour les plus endurants au bout de quelques années d'exercice - c'est le sauve-qui-peut.

 

Mais  comment s'étonner de la pénurie d'enseignantes et d'enseignants ?

 

A force de décrire les enfants et les jeunes comme des êtres en grande proportion déficients, défaillants, en difficulté, perclus de troubles dont la liste ne cesse de s'allonger jusqu'à indiquer qu'un quart des élèves sont à ranger dans la catégorie EHDAA (élèves en situation de handicap ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage), faut-il s'étonner que cette trace morbide d'eugénisme vienne décourager les vocations ?

A force de laisser se délabrer, les écoles elles-mêmes, bâtiments déjà peu hospitaliers à l'origine avec leur architecture conventuelle quasi carcérale dégradée aujourd'hui en taudis grillagés afin de parer aux chutes de briques, sans compter les moisissures et autres inconforts;

A force de laisser les conditions de travail se prolétariser, se précariser jusqu'à donner à penser que c'est un emploi de technicien opérateur plus qu'un métier, pour lequel tout le monde est interchangeable comme dans le travail à la chaîne… avec salaires minables;

A force de ne plus savoir quoi enseigner, de quoi instruire, en vue de quoi éduquer;

comment s'étonner de la pénurie d'enseignantes et d'enseignants ?

 

Pense-t-on sérieusement qu'en réduisant à de la formation technique une formation déjà passablement technicisée par l'idéologie mécaniste des sacro-saintes données probantes transmises à coup de cours magistraux en ligne, on va résoudre le problème ?

Devenir enseignante, enseignant, éduquer, ce n'est certes pas si difficile,… sauf pendant les 30 premières années environ !

 

Enseigner avec son corollaire éduquer est un art et non une technique. Cela repose avant tout sur la qualité d'âme de celles et ceux qui s'y essaient, instruits d'une expérience acquise au cours des siècles par tous ceux qui les ont précédés et frottée aux réalités d'aujourd'hui au sein de collectifs offrant des espaces propices à l'analyse réflexive soutenant l'engagement à collaborer.

 

Pour éduquer, il faut prendre l'habitude d'une réflexion critique avec Comenius, Rousseau, Freire, etc., avec ses collègues et avec les Kevin et les Sabrina d'aujourd'hui. Il faut se forger une âme confiante dans l'humanité qui advient par la jeune génération. Une âme confiante, aimante et tout aussi exigeante. Pour cela il faut ressentir que l'on est porté par toute une société qui a confiance en ses enfants, qui les aime mais sans aveuglement, avec exigence, avec équité, qui sait qu'elle a des valeurs et des savoirs précieux à leur transmettre afin qu'ils puissent en faire l'inventaire critique nécessaire pour inventer leur monde de demain. Loin de tout psittacisme ou bourrage de crâne dicté par les thuriféraires de la donnée probante de laboratoire si éloignée des conditions authentiques de la vie éducative en chaque occasion variable, vivante, inventive et rétive à toute systématisation ou automatisme.

En éducation, l'éthique précède toute décision et toute autre raison. De l'éthique se déduisent tous les choix de ressources, d'organisation, de pédagogie et même de didactique. Alors, pour former des enseignantes et des enseignants, il faut leur indiquer qu'on a une haute idée de la noblesse de la tâche qui leur est confiée, il faut prendre le temps de prendre soin de leur âme, qu'en celle-ci se forme l'éthique et l'idée claire des visées de leur mission confiée avec clarté par la société; ensuite, il faut leur donner les outils propres à façonner leur art de faire: savoir observer, mobiliser, organiser, évaluer, soutenir, dans la diversité des situations et la diversité des allures d'apprentissage. Cela se réalise pour partie dans une formation initiale et pour partie dans un accompagnement de formation continue.

Un des malentendus vient du fait qu'on parle de "former les enseignantes et les enseignants" là où il faudrait d'abord parler de "se former". Pour devenir pédagogue, il importe plus de "se former" que "d'être formé". Responsabilité qui incombe à chacun. Devant les difficultés actuelles, il est vain et irresponsable de penser qu'en réduisant de moitié le temps de formation on résoudra le problème. On ne fait que l'augmenter en dévalorisant un peu plus la profession enseignante. 

 

voir : https://www.ledevoir.com/societe/education/786647/les-syndicats-circonspects-quant-a-la-formation-d-enseignants-non-qualifies 

https://www.journaldemontreal.com/2023/04/14/lenseignement-se-merite-une-formation-a-la-hauteur-de-ses-responsabilites 


samedi 15 avril 2023

Autisme, autiste et TSA... le choix des mots - clarifications

Un récent courriel, reçu d'une éminente collègue, a attisé une réflexion que je mijote depuis quelques temps déjà. Voici une étape de sa construction:

 

"Nous ne voyons pas les choses mêmes; nous nous bornons le plus souvent à lire les étiquettes collées sur elles." Bergson.

 

Un certain nombre de personnes autistes souhaitent que les personnes autistes soient ainsi nommées ou même plus directement encore nommées "autistes". Elles s'opposent de façon militante à la dénomination issue du DSM5 qui parle de trouble du spectre de l'autisme ce qui conduit à des formulations qu'elles estiment dégradantes ou humiliantes  telles que "personne atteinte d'un trouble du spectre de l'autisme" voire "personne souffrant d'un trouble du spectre de l'autisme". La notion de trouble leur semble particulièrement problématique désignant par là une altération chez elles de ce qui est considéré arbitrairement et ordinairement comme un fonctionnement "normal, conforme, standard". Cela les désigne comme des personnes affectées d'un défaut, des personnes défaillantes, ce qui appellerait une prise en charge thérapeutique corrective.

On peut observer que cette thérapie corrective, normalisante, n'existe pas, en tout cas, pas de façon si efficace que le trouble considéré puisse disparaitre de la personnalité chez qui il a été diagnostiqué. Tout juste parvient-on en plus d'un siècle de recherches à des modifications marginales des comportements visant à rendre les personnes moins troublantes pour leur entourage. Quant à la compréhension de ce qui serait la cause (ou les causes) de cette condition, il n'y a en la matière rien de sûr. Ce siècle de recherches a surtout été le théâtre de guerres picrocholines entre les écoles de psychiatrie pour définir ce qui leur apparait comme troublant sur le plan comportemental chez certaines personnes et produire des classements catégoriels. Une armistice a été provisoirement conclue et s'est imposée entre les protagonistes réunis sous la bannière dominatrice de l'APA (Association américaine de psychiatrie) autour de l'idée d'un spectre aussi large que possible pour faire entrer dans une même catégorie nosographique toutes les personnes qui semblent réunir de façon plus ou moins prononcée deux caractéristiques comportementales identifiées comme essentielles : une manière troublante d'entrer en interaction sociale avec autrui et un penchant net pour des centres d'intérêt considérés comme restreints.

La revendication des personnes autistes militantes concernant leur propre dénomination est évidemment pleinement justifiée. Personne n'a à subir une dénomination qui lui semble péjorative.

Même s'il faut noter que cette dénomination qu'elles choisissent leur vient d'un diagnostic de leur condition attribué par l'institution dont elles récusent par ailleurs la légitimité en ce qui concerne le choix des termes pour nommer cette condition.  Il y a là comme une inféodation paradoxale, mais elle est finalement assez comparable à d'autres phénomènes historiques de retournement de stigmates en affirmation identitaire positive.

Une autre difficulté vient du fait que cette revendication est souvent présentée par les personnes militantes de la cause comme reflétant ipso facto, du fait de leur propre qualité d'autistes, la position de l'ensemble des personnes ayant reçu ce diagnostic. Or, l'affirmation populaire aujourd'hui que la diversité humaine s'exprime aussi par ce qu'il est convenu d'appeler "neurodiversité" vient fragiliser cet enrôlement de toutes les personnes ayant reçu le diagnostic d'autisme. D'autant que bon nombre d'entre elles, sont pour diverses raisons affectées d'une incapacité à prendre la parole sur la place publique. Elles "sont parlées" (Bourdieu) du fait de leurs limitations dans l'accès au langage et à la participation sociale et citoyenne. Personnes empêchées et très dépendantes dont personne ne peut prétendre dire ce qu'est le fond de leur pensée quant à leur propre situation et à la manière dont elles-mêmes se considèrent et souhaiteraient se voir nommées et rattachées à un groupe humain sous un drapeau identitaire dû au diagnostic qu'elles ont reçu.

Pour le dire brièvement : deux personnes ayant reçu un diagnostic d'autisme peuvent être aussi dissemblables que n'importe quelles personnes prises au hasard dans la population générale. L'une peut être une brillante universitaire tandis que l'autre est recluse dans un service psychiatrique hospitalier où faute de savoir quoi faire pour changer sa condition, on lui prodigue des soins guère différents de ceux prescrits par Philippe Pinel au XIXème siècle. La première est-elle plus légitime que n'importe qui d'autre pour parler au nom de la seconde ? Le doute est permis. Un doute qui s'étend à l'idée même que la psychiatrie ait placé ces deux personnes dans la même catégorie nosographique.

Ainsi la parole des personnes militantes autistes est-elle légitime pour elles-mêmes mais doit faire preuve de prudence dans sa revendication à représenter toutes les personnes ayant reçu un diagnostic d'autisme, cela aussi bien en ce qui concerne le "bon usage" des mots qu'en ce qui concerne plus largement les questions sociales et politiques qui peuvent se poser dès qu'il est question d'autisme. Ces questions doivent être considérées dans le cadre d'une délibération démocratique où la seule qualité de citoyen donne le droit de prendre part équitablement.