lundi 16 juillet 2018

Corpuscule 3D Diversité (Notre dernière présentation, bilan)



Pourquoi, comment… ?  
Une initiation à la danse

Parce que j’avais vu l’annonce du projet sur Facebook et que l’ayant proposé à ma meilleure moitié, celle qui danse, elle déclina l’offre car elle travaillait aux horaires des répétitions. Parce qu’alors, je me suis dit : pourquoi pas moi ? Ça fait 57 ans que je n’ai pas dansé, il n’est peut-être pas trop tard… Belle occasion de me lancer dans des apprentissages totalement inédits pour moi. 
Fait que, j’ai écrit à France Geoffroy pour lui proposer ma candidature (candide-ature ?) qui fut très aimablement acceptée. (Mille mercis à cette formidable "Danseuse sur roulettes" !)
Premières séances : j’étais très gêné. J’avais l’impression de vivre ces moments dans un corps qui n’est pas le mien, raide, pataud, maladroit, avec des morceaux qui servent à rien mais qu’on ne peut pas laisser au vestiaire alors que je ne sais pas quoi en faire. Impression d’être un bonhomme Playmobil fait de pièces disjointes qu’il faut penser à animer l’une après l’autre. Impression d’être l’élève qui ne comprend rien, qui ne connaît pas les codes de la classe, les attentes du prof, qui fait tout son possible mais qui est toujours un peu hors du coup. Heureusement, tout le monde est sympa. La fausse sensation d’être regardé, jugé s’efface assez vite. Il reste à se mettre courageusement au travail en feignant de croire que je vais y arriver. Quelques encouragements de l’un ou l’autre des chorégraphes, quelques conseils subtilement distillés par celles qui ont plus d’expérience produisent leurs effets sur mes propres barrières. J’ose plus parce que je tente moins de me regarder et d’évaluer si j’ai des chances de parvenir à réussir et à me trouver bon. Ce voeu inconscient de s’estimer favorablement pour en faire dépendre ensuite l’investissement dans l’apprentissage est mortifère. Je ne suis sans doute pas le seul ici-bas à l’éprouver… L’obsession parfois absurde et artificielle de vouloir convaincre les élèves d’acquérir une « estime de soi » inoxydable comme Graal pour la réussite éducative est contre productive quand l’élève a la lucidité de ne pas être dupe du discours d’encouragements sous lequel on tente d’anesthésier ses résistances. Bien sûr, éviter de faire subir l’humiliation, bien sûr, encourager, mais surtout, ne pas bercer d’illusions dont le sujet percevra assez tôt le mensonge comme on évente les tours d'un mauvais prestidigitateur. Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas éprouvé en moi-même ces sensations pour lesquelles j’ai des convictions de formateur. Dans le projet de ce groupe, j’ai trouvé les ingrédients nécessaires pour m'accompagner comme néophyte dans l'apprentissage : peu d’explications, mais des consignes pour mettre en action, quelques conseils et modelages à imiter afin de guider dans la bonne direction une progression dans la complexité.
Il y a aussi les apprentissages au sein du groupe et en tant que groupe. Une vingtaine de personnes que l’on ne connaît d’abord qu’à travers cette rencontre hebdomadaire ayant un objectif bien singulier. Par ailleurs, chacun a sa vie, ses occupations, sa culture dont les autres ne savent rien ou très peu. Nous nous découvrons comme partenaires à travers des interactions motrices. Il faut apprendre à ajuster le regard, les gestes, les déplacements en fonction de la singularité et de la diversité. Petit à petit, ce que je pratiquais comme étant une séquence motrice menée seul doit devenir un élément en harmonie avec les mouvements des autres. Il faut lâcher prise de l’attention à soi pour passer à l’attention aux autres, tout en passant néanmoins suffisamment de commandes à son propre corps pour participer au mouvement collectif. Cela suppose de se libérer en automatisant certains gestes, certains enchaînements de gestes. Pour moi qui n’ai l’habitude d’agir que sous l’instance de commandes dont je veux avoir la maîtrise et la conscience, c’est un défi. Or, les enchainements de gestes qu’il faut apprendre à faire ne peuvent se réaliser sous la motion d’une instance consciente qui en commanderait l'impeccable succession. Ça va trop vite. Les schèmes moteurs doivent s’automatiser en s'agglutinant les uns aux autres pour former des unités plus vastes et permettre à l’esprit d’anticiper sur la séquence suivante. Ainsi, l’empan s’agrandit. Mais j’ai observé que je ne pouvais procéder que d’une étape à la suivante, sans jamais pouvoir faire venir à la conscience la totalité ni même un ensemble plus restreint de séquences. Dans l’action, c’est comme si je ne pouvais envisager que l’étape en cours et sa suivante immédiate. Cela constitue une nette différence avec mes habitudes d’activités physiques plutôt orientées vers le sport. En effet, ces dernières sont soit des commandes motrices entièrement automatisées et répétitives comme la course ou la nage, soit des gestes individuels très techniques et généralement bref comme les lancers ou les sauts, soit des actions qui « répondent », qui s’adaptent en permanence, en interaction quasi imprévisibles avec le partenaire ou l’adversaire dans le cas des sports et jeux d’opposition ou collectifs. En danse, ce que fait l’autre n’est pas totalement inattendu, la trame de son action a même été élaborée, concertée, mais c’est dans la singularité de son exécution, à chaque fois légèrement différente tout comme l’est la mienne que réside la nécessité d’y porter toute son attention pour s’y ajuster. On se donne la réplique, comme au théâtre où il faut écouter l’autre quand bien même on sait pertinemment ce qu’il va dire parce que c’est le fait même qu’il ou elle l’ait dit qui commande notre propre intervention à notre tour. 
Dernier défi, et non des moindres comme je m’en doutais car j’ai toujours admiré les danseurs et danseuses dans leur capacité à mémoriser pour tout un spectacle, un enchaînement et une diversité de gestes, de mouvements enchaînés avec grâce et précision. Pendant de nombreuses séances, j’ai eu l’impression que je ne pourrai jamais faire autrement que d’exécuter avec un léger retard ce que je voyais faire par les autres danseuses et danseurs. Et puis, j’ai réussi à enchaîner des séquences de plus en plus longues, à en mémoriser l’ordre. Et dans les dernières semaines, j’ai passé beaucoup de nuits à voir défiler tout ou partie de notre performance dans les songes de mon demi-sommeil. A chaque erreur ou interruption, le « film » reprenait  au départ jusqu’à ce que quelques jours avant notre première présentation : « miracle » je savais tout, sans presque plus d’hésitations. On sait le rôle du sommeil dans l’apprentissage. 
Les deux chorégraphies enchaînées que nous avons présentées sont pour la première d’inspiration indienne, style Bollywood, et la seconde, africaine, sans musique, basée sur le rythme donné directement par le piétinement. Les deux nous ont donné l’occasion de réaliser plusieurs formes de danse : des parties dans lesquelles chacun interprète à sa manière et librement des mouvements et des déplacements basés sur des consignes générales, donc, semi-improvisés, des parties où le groupe au complet est dans l’interaction et la coordination, des parties en duos ou trios… Bref, une grande diversité d’expériences. 
Enfin, il faut dire un mot des représentations. De cette sorte de petite fièvre que vit le groupe la veille et le jour même, de ce besoin de se parler, de se rassurer, de se toucher, d’avoir l’impression de faire corps. J’ai compris l’expression « corps de ballet ». Pour réaliser ensemble quelque chose où le tout est plus grand que la somme des parties. Avec assez d’énergie pour maintenir la cohésion tout au long de la présentation et parvenir à affronter le possible désintérêt du public, sa force entropique, sa pulsion de nous réduire à ce qu’il est lui dans le moment : un simple agglomérat d’individus dont aucun ne se distingue par un rôle précis. Il y a à la fois de l’offrande au public et de la lutte avec lui. C’est de cet affrontement pacifique avec le public que nait et se distingue un corps collectif formé de membres distincts ayant chacun un rôle irremplaçable, un corps collectif cherchant à affirmer son existence en se montrant à la hauteur du défi qu’il s’était initialement lancé. Tout le temps qu’on n’est pas parvenu à cette phase, on est comme des astronautes qui s’entrainent en soufflerie, c’est la même chose, mais c’est radicalement différent. Ça peut être réussi - ou pas - dans une répétition, mais ce n’est pas risqué voire « dangereux ». Or, c’est cette exposition, cette mise en danger, qui fait éprouver tout à la fois la vulnérabilité et la possibilité de la dépasser. 
Je m’aperçois en finissant que je n’ai pas explicitement évoqué la situation de danse réunissant des personnes avec et sans handicap ainsi qu’il est de coutume de le dire, de la dimension « danse intégrée » donc. Mais c’est que pour danser, c’est à dire quand on est plongé dans la réalité de l’activité de danser, la diversité de nos allures motrices est indifférente. Il ne me serait pas plus facile de danser avec des personnes qui ont les mêmes capacités motrices que moi. Cela n’ajouterait ni ne retrancherait rien à ce que je peux faire ni ne faciliterait ou compliquerait ce qu’il est indispensable de faire, à savoir, harmoniser ses mouvements avec ceux de l’autre. Et chacun dans cette attention nécessaire perçoit assez vite ce dont ses partenaires sont capables sans qu’il soit besoin d’en dire grand chose. Et s’il venait à l’esprit de quiconque de se demander maintenant : aurions-nous fait plus, mieux, en étant un groupe homogène dans ses capacités motrices ? La réponse est pour moi, clairement non. Car c’est au contraire de cette diversité qu’est née notre chorégraphie. Elle porte la marque de ce que chacune et chacun est. Tout changement dans le composition du groupe aboutirait à un changement dans la production et serait alors l’objet d’une autre aventure, ce que sera toute nouvelle initiative… à venir !  
Et la dimension artistique ? Il me semble qu'elle a deux commanditaires principaux : le ou la chorégraphe avec son intention et le spectateur qui accueille et interprète  ce qu’il reçoit. Danser revient alors à se placer dans une fonction de médiateur. 
Il y aurait sans doute bien d’autres choses à écrire, ce que d’autres plus compétents ont fait ailleurs, dans une littérature que j’ignore largement malheureusement. Cependant, avant que cela ne s’évanouisse de ma mémoire, je voulais décrire des sensations que pour la plupart je n’éprouverai plus dans ce domaine puisque par définition, il n’y a qu’une seule première fois et que c’était aussi cela que je voulais expérimenter. En effet, plus on avance en âge plus rares sont les occasions de se confronter à un apprentissage assez complexe et entièrement nouveau. Or, un pédagogue a besoin de raviver le souvenir de ces sensations pour ne pas se fourvoyer lorsqu’il est en situation de proposer des apprentissages complexes et entièrement nouveaux, de quelque ordre qu’ils soient, à des élèves, des étudiants… 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire