dimanche 16 avril 2023

Pénurie d'enseignantes et d'enseignants ?

On dirait que voici une société comme tant d'autres qui n'aime pas les enseignants, qui n'en prend aucun soin et s'étonne - ou feint de s'étonner - de voir se tarir les vocations pour ce métier. On dirait que cette société n'aime pas les enseignants, qu'elle prend juste l'éducation pour une charge, une dépense, certes nécessaire afin que ses enfants puissent jouer au grand jeu de la lutte de chacun contre tous dans l'attribution des places sociales et économiques. Pour cela, elle voudrait quand même que la tâche soit accomplie, alors elle y va de la plus vile flatterie et de la plus feinte commisération. Avec des phrases creuses de service comm', elle passe la main dans le dos de la main d'œuvre enseignante de temps en temps en lui disant "qu'elle fait une différence" et autres slogans lénifiants de même farine. Mais personne n'est dupe et à peine mis les pieds dans une école lors d'un stage - et pour les plus endurants au bout de quelques années d'exercice - c'est le sauve-qui-peut.

 

Mais  comment s'étonner de la pénurie d'enseignantes et d'enseignants ?

 

A force de décrire les enfants et les jeunes comme des êtres en grande proportion déficients, défaillants, en difficulté, perclus de troubles dont la liste ne cesse de s'allonger jusqu'à indiquer qu'un quart des élèves sont à ranger dans la catégorie EHDAA (élèves en situation de handicap ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage), faut-il s'étonner que cette trace morbide d'eugénisme vienne décourager les vocations ?

A force de laisser se délabrer, les écoles elles-mêmes, bâtiments déjà peu hospitaliers à l'origine avec leur architecture conventuelle quasi carcérale dégradée aujourd'hui en taudis grillagés afin de parer aux chutes de briques, sans compter les moisissures et autres inconforts;

A force de laisser les conditions de travail se prolétariser, se précariser jusqu'à donner à penser que c'est un emploi de technicien opérateur plus qu'un métier, pour lequel tout le monde est interchangeable comme dans le travail à la chaîne… avec salaires minables;

A force de ne plus savoir quoi enseigner, de quoi instruire, en vue de quoi éduquer;

comment s'étonner de la pénurie d'enseignantes et d'enseignants ?

 

Pense-t-on sérieusement qu'en réduisant à de la formation technique une formation déjà passablement technicisée par l'idéologie mécaniste des sacro-saintes données probantes transmises à coup de cours magistraux en ligne, on va résoudre le problème ?

Devenir enseignante, enseignant, éduquer, ce n'est certes pas si difficile,… sauf pendant les 30 premières années environ !

 

Enseigner avec son corollaire éduquer est un art et non une technique. Cela repose avant tout sur la qualité d'âme de celles et ceux qui s'y essaient, instruits d'une expérience acquise au cours des siècles par tous ceux qui les ont précédés et frottée aux réalités d'aujourd'hui au sein de collectifs offrant des espaces propices à l'analyse réflexive soutenant l'engagement à collaborer.

 

Pour éduquer, il faut prendre l'habitude d'une réflexion critique avec Comenius, Rousseau, Freire, etc., avec ses collègues et avec les Kevin et les Sabrina d'aujourd'hui. Il faut se forger une âme confiante dans l'humanité qui advient par la jeune génération. Une âme confiante, aimante et tout aussi exigeante. Pour cela il faut ressentir que l'on est porté par toute une société qui a confiance en ses enfants, qui les aime mais sans aveuglement, avec exigence, avec équité, qui sait qu'elle a des valeurs et des savoirs précieux à leur transmettre afin qu'ils puissent en faire l'inventaire critique nécessaire pour inventer leur monde de demain. Loin de tout psittacisme ou bourrage de crâne dicté par les thuriféraires de la donnée probante de laboratoire si éloignée des conditions authentiques de la vie éducative en chaque occasion variable, vivante, inventive et rétive à toute systématisation ou automatisme.

En éducation, l'éthique précède toute décision et toute autre raison. De l'éthique se déduisent tous les choix de ressources, d'organisation, de pédagogie et même de didactique. Alors, pour former des enseignantes et des enseignants, il faut leur indiquer qu'on a une haute idée de la noblesse de la tâche qui leur est confiée, il faut prendre le temps de prendre soin de leur âme, qu'en celle-ci se forme l'éthique et l'idée claire des visées de leur mission confiée avec clarté par la société; ensuite, il faut leur donner les outils propres à façonner leur art de faire: savoir observer, mobiliser, organiser, évaluer, soutenir, dans la diversité des situations et la diversité des allures d'apprentissage. Cela se réalise pour partie dans une formation initiale et pour partie dans un accompagnement de formation continue.

Un des malentendus vient du fait qu'on parle de "former les enseignantes et les enseignants" là où il faudrait d'abord parler de "se former". Pour devenir pédagogue, il importe plus de "se former" que "d'être formé". Responsabilité qui incombe à chacun. Devant les difficultés actuelles, il est vain et irresponsable de penser qu'en réduisant de moitié le temps de formation on résoudra le problème. On ne fait que l'augmenter en dévalorisant un peu plus la profession enseignante. 

 

voir : https://www.ledevoir.com/societe/education/786647/les-syndicats-circonspects-quant-a-la-formation-d-enseignants-non-qualifies 

https://www.journaldemontreal.com/2023/04/14/lenseignement-se-merite-une-formation-a-la-hauteur-de-ses-responsabilites 


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