samedi 15 avril 2023

Autisme, autiste et TSA... le choix des mots - clarifications

Un récent courriel, reçu d'une éminente collègue, a attisé une réflexion que je mijote depuis quelques temps déjà. Voici une étape de sa construction:

 

"Nous ne voyons pas les choses mêmes; nous nous bornons le plus souvent à lire les étiquettes collées sur elles." Bergson.

 

Un certain nombre de personnes autistes souhaitent que les personnes autistes soient ainsi nommées ou même plus directement encore nommées "autistes". Elles s'opposent de façon militante à la dénomination issue du DSM5 qui parle de trouble du spectre de l'autisme ce qui conduit à des formulations qu'elles estiment dégradantes ou humiliantes  telles que "personne atteinte d'un trouble du spectre de l'autisme" voire "personne souffrant d'un trouble du spectre de l'autisme". La notion de trouble leur semble particulièrement problématique désignant par là une altération chez elles de ce qui est considéré arbitrairement et ordinairement comme un fonctionnement "normal, conforme, standard". Cela les désigne comme des personnes affectées d'un défaut, des personnes défaillantes, ce qui appellerait une prise en charge thérapeutique corrective.

On peut observer que cette thérapie corrective, normalisante, n'existe pas, en tout cas, pas de façon si efficace que le trouble considéré puisse disparaitre de la personnalité chez qui il a été diagnostiqué. Tout juste parvient-on en plus d'un siècle de recherches à des modifications marginales des comportements visant à rendre les personnes moins troublantes pour leur entourage. Quant à la compréhension de ce qui serait la cause (ou les causes) de cette condition, il n'y a en la matière rien de sûr. Ce siècle de recherches a surtout été le théâtre de guerres picrocholines entre les écoles de psychiatrie pour définir ce qui leur apparait comme troublant sur le plan comportemental chez certaines personnes et produire des classements catégoriels. Une armistice a été provisoirement conclue et s'est imposée entre les protagonistes réunis sous la bannière dominatrice de l'APA (Association américaine de psychiatrie) autour de l'idée d'un spectre aussi large que possible pour faire entrer dans une même catégorie nosographique toutes les personnes qui semblent réunir de façon plus ou moins prononcée deux caractéristiques comportementales identifiées comme essentielles : une manière troublante d'entrer en interaction sociale avec autrui et un penchant net pour des centres d'intérêt considérés comme restreints.

La revendication des personnes autistes militantes concernant leur propre dénomination est évidemment pleinement justifiée. Personne n'a à subir une dénomination qui lui semble péjorative.

Même s'il faut noter que cette dénomination qu'elles choisissent leur vient d'un diagnostic de leur condition attribué par l'institution dont elles récusent par ailleurs la légitimité en ce qui concerne le choix des termes pour nommer cette condition.  Il y a là comme une inféodation paradoxale, mais elle est finalement assez comparable à d'autres phénomènes historiques de retournement de stigmates en affirmation identitaire positive.

Une autre difficulté vient du fait que cette revendication est souvent présentée par les personnes militantes de la cause comme reflétant ipso facto, du fait de leur propre qualité d'autistes, la position de l'ensemble des personnes ayant reçu ce diagnostic. Or, l'affirmation populaire aujourd'hui que la diversité humaine s'exprime aussi par ce qu'il est convenu d'appeler "neurodiversité" vient fragiliser cet enrôlement de toutes les personnes ayant reçu le diagnostic d'autisme. D'autant que bon nombre d'entre elles, sont pour diverses raisons affectées d'une incapacité à prendre la parole sur la place publique. Elles "sont parlées" (Bourdieu) du fait de leurs limitations dans l'accès au langage et à la participation sociale et citoyenne. Personnes empêchées et très dépendantes dont personne ne peut prétendre dire ce qu'est le fond de leur pensée quant à leur propre situation et à la manière dont elles-mêmes se considèrent et souhaiteraient se voir nommées et rattachées à un groupe humain sous un drapeau identitaire dû au diagnostic qu'elles ont reçu.

Pour le dire brièvement : deux personnes ayant reçu un diagnostic d'autisme peuvent être aussi dissemblables que n'importe quelles personnes prises au hasard dans la population générale. L'une peut être une brillante universitaire tandis que l'autre est recluse dans un service psychiatrique hospitalier où faute de savoir quoi faire pour changer sa condition, on lui prodigue des soins guère différents de ceux prescrits par Philippe Pinel au XIXème siècle. La première est-elle plus légitime que n'importe qui d'autre pour parler au nom de la seconde ? Le doute est permis. Un doute qui s'étend à l'idée même que la psychiatrie ait placé ces deux personnes dans la même catégorie nosographique.

Ainsi la parole des personnes militantes autistes est-elle légitime pour elles-mêmes mais doit faire preuve de prudence dans sa revendication à représenter toutes les personnes ayant reçu un diagnostic d'autisme, cela aussi bien en ce qui concerne le "bon usage" des mots qu'en ce qui concerne plus largement les questions sociales et politiques qui peuvent se poser dès qu'il est question d'autisme. Ces questions doivent être considérées dans le cadre d'une délibération démocratique où la seule qualité de citoyen donne le droit de prendre part équitablement.

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