jeudi 21 décembre 2023

Art et bien-être : ce que les personnes font à l'art

On a coutume depuis quelques années de chercher à évaluer les bénéfices que tirent les personnes destinataires de leur participation à des activités de médiation artistique. On cherche à établir dans quelle mesure par des actions de médiation artistique un public institutionnellement catégorisé en fonction d'un diagnostic reçu ou d'une condition de vie momentanée ou durable peut voir son bien-être significativement augmenté. Le phénomène est difficile à établir indubitablement car il oblige à des extrapolations parfois hasardeuses qui débordent le cadre de l'action de médiation elle-même (Horvais 2022). Pour autant, il semble aller de soi qu'une activité artistique pratiquée ou reçue, est pour tout un chacun une occasion de satisfaction. Sinon, la personne s'y déroberait. Cependant, tout artiste - ou simplement toute personne - ne s'engage pas dans la pratique artistique et la création sous la motion d'un conseil ou d'une indication thérapeutique ou pour une recherche systématique de bien-être. Ce qui pousse une personne - artiste parfois - à agir artistiquement est bien plus complexe. Beaucoup savent que cette pratique parce qu'elle est exigeante envers soi-même peut occasionner bien des tourments fort éloignés de la quête exclusive et benoite de bien-être : recherche de l'inspiration, doute sur la qualité de sa production, crainte de rejet par le public, etc.

Il n'y a pas de raison de penser que cette ambivalence possible des effets de la pratique artistique n'est pas présente de la même manière pour toutes les personnes - artistes reconnues ou non - quelle que soit leur allure de vie. Il n'y a pas d'un côté un art librement et souverainement pratiqué par des personnes "normales" et de l'autre un art prescrit pour des personnes d'une catégorie mineure du fait de leur condition. Il n'y a pas d'art digne de ce nom s'il reste imprégné de la philosophie du "happiness" qu'on destinait autrefois aux personnes ayant reçu un diagnostic de déficience intellectuelle ou d'autisme.

Lorsque la proposition artistique vient à ces personnes y compris par le truchement d'une action socialement construite (cf. "arts situés" (Havelange, 2019) qui leur est destinée, la réponse participative qu'elles y donnent vaut comme manifestation de leur agentivité artistique à l'égal de tout autre artiste et à ce titre doit être considérée comme telle. Elles y mettent un engagement d'égale dignité. Elles le vivent artistiquement de toute leur personne et à ce titre doivent être considérées comme agissant artistiquement jusqu'à ce que leur maitrise de cet art et leur production les fasse reconnaitre comme artistes.

Ainsi, il faut abandonner la posture de domination qui fait se demander en permanence "qu'est-ce que l'art fait à ces personnes ?" pour les considérer avec justice et équité en ce demandant "qu'est-ce que ces personnes font à l'art ?", question qui se pose pour tous les artistes et leur production.

Cette nouvelle posture, résolument inclusive, est propre à renouveler notre réception des œuvres artistiques produites par la diversité humaine et à enrichir le patrimoine commun en octroyant à tous les mêmes opportunités de reconnaissance pour leurs talents. 

PS : il convient de rester prudent quant à l'attribution du titre d'artiste qui fait l'objet d'un grand nombre de définitions selon l'épistémologie à laquelle on se réfère.
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Havelange, Carl. (2019). Notules à propos du Trink-Hall et des arts situés Notules introductives. https://www.academia.edu/39766715/Notules_%C3%A0_propos_du_Trink_Hall_et_des_arts_situ%C3%A9s_Notules_introductives

Horvais, Jean. (2022). L’évaluation des projets artistiques inclusifs. Éthique en éducation et en formation, (12), 111‑126. https://doi.org/10.7202/1090446ar

voir aussi : https://ecolatre.blogspot.com/2023/10/meru-lancement-de-lassociation-approsh.html 

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