vendredi 20 mai 2022

Ecole d'été, Cours FCM8000 "Droits, citoyenneté et handicap"

 Cette école d'été, que nous avons créée et encapsulée récemment dans un programme court de 2ème cycle (https://etudier.uqam.ca/programme?code=9024) est présentée ici sur le site de l'UQAM : https://etudier.uqam.ca/cours?sigle=FCM8000 

Elle est aussi présentée ici dans sa version complète et précise avec ses contenus de 2022 ici : https://fcm8000.com/

et toutes les archives des précédentes écoles d'été sont ici : https://sites.google.com/view/fsh8000-2018/accueil

De plus, j'en ai parlé sur ce blog ici : https://ecolatre.blogspot.com/search/label/%C3%A9cole%20d%27%C3%A9t%C3%A9%20Droits

Cette année, j'y ai tenu les propos suivants lors de la dernière journée. 

Je suis très heureux de prendre la parole durant cette école d’été à la création de laquelle j’ai eu le plaisir de contribuer en 2017. C’est un lieu de partage d’idées. Cet après-midi doit être festive et je vais devoir me livrer à une pratique pédagogique qui ne m’est pas familière et que j’essaie d’éviter autant que possible : une prise de parole de type magistral. Mais dans le cadre de cette école d’été, je vais tenter de vous partager quelques idées sans ennui.

J’aimerais aller avec vous à sauts et à gambades comme dit Montaigne car j’ai puisé dans tout ce que j’ai entendu durant la semaine pour construire mon propos sur le thème proposé : « L’inclusion dans une perspective de diversité ». Je me suis senti comme un étudiant devant un sujet de dissertation. Je vais donc prendre ce qui m’est apparu comme les bons morceaux de la semaine et ce qui continue à m’animer comme questionnement. J’aimerais vous partager ce questionnement en espérant qu’il soit aussi le vôtre afin qu’il continue à cheminer dans nos esprits. Mais je ne veux pas non plus me contenter de répéter ce que les intervenants ont dit pendant la semaine. Cependant, je vais peut-être aussi enfoncer certains clous !

 

Comment peut-on penser les droits de la personne en contexte de compétition économique ? Comment peut s’articuler l’expression de la diversité des allures de vie et des désirs des personnes dans un contexte économique marqué par le chacun contre tous, la réduction des valeurs à la seule valeur marchande. On peut peut-être trouver un éclairage sur ces questions en s’intéressant à ce qu’en philosophie on appelle les « sphères de justice ». (Lazzeri, C. (2001). Qu'est-ce qu'une « sphère » éducative ? Justice et éducation chez Michael Walzer. Le Télémaque, 20, 65-73)

On peut aussi réfléchir là-dessus avec Avishaï Margalit, (Margalit, A. (2007). La société décente. Flammarion.) qui écrit : « une société décente est une société dont les institutions n’humilient pas les personnes placées sous leur autorité, et dont les citoyens n’en humilient pas d’autres. » On voit que ça joue sur les deux registres : celui des institutions et celui des rapports interindividuels. Chacun·e y a une part de responsabilité.

J’ai aussi un questionnement autour de la prise en compte des catégorisations nosographiques. Cela sert de descripteur pour des observations faites par le milieu médical et psychologique mais, ayant décrit des symptômes qui apparaissent au regard, à l’observation, cela aboutit finalement à la formation de groupes humains et à les enclore les uns à côté des autres. Comme si les un·e·s et les autres devaient porter des maillots d’équipes ainsi qu’il en est dans le sport et comme si cela formait des groupes homogènes. Or, l’expérience montre que derrière ces catégorisations, il n’y a aucune homogénéité en particulier au regard des apprentissages. Et plus ça va, plus il semble que l’on doive affiner ces classifications jusqu’à des subdivisions fractales dont la fine pointe est en définitive l’individu. Ces catégorisations sont des commodités que la société se donne pour administrer vis-à-vis desquelles la pratique éducative et pédagogique doit se montrer très circonspecte et garder ses distances. On a affaire, ainsi que le montre par exemple le sociologue Romuald Bodin, à une institution du handicap. (Bodin, R. (2018). L’institution du handicap: esquisse pour une théorie sociologique du handicap. La Dispute.) L’auteur montre que l’établissement des diagnostics apparait à des âges spécifiques de la vie, par exemple, la déficience intellectuelle à l’âge scolaire, tandis que la déficience motrice est plutôt massivement identifiée à l’âge adulte en lien avec l’accès aux milieux de travail.

Or, une personne est par définition changeante, elle construit une histoire. Cela nous amène à réfléchi à une autre notion, celle très populaire aujourd’hui d’identité. Le philosophe Paul Ricoeur peut enrichir cette réflexion avec la distinction qu’il établit entre identité « mêmeté » et identité « ipséité ». La première réfère à ce qui en nous perdure et atteste qu’on a bien affaire à la même personne. La seconde est liée à l’historicité de la personne et aux changements qui viennent l’affecter au long du déroulement de son existence et qui constitue son irremplaçable histoire, celle qu’elle peut raconter. Une personne en dépit de la permanence de ses traits est toujours une personne changeante, une personne qui évolue à travers ses expériences, ses apprentissages, etc. A la suite de cette école d’été, vous ne serez plus exactement les mêmes personnes qu’auparavant, quelque chose en vous, dans votre manière de penser ce qui en était l’objet, a certainement changé. Je l’espère en tout cas, car c’est un objectif que nous avions en nous réunissant une semaine dans une salle pour se parler et s’instruire les un·e·s les autres. La notion d’appartenance est certainement intéressante pour préciser les choses. Cela évoque la théorie des ensembles. Nous sommes pétris, formés, d’appartenances multiples. Ce qui permet de penser avec le terme d’intersectionnalité qui a été fréquemment employé ce qu’on pourrait appeler une intersectionnalité située qui permettrait de se dégager des assignations définitives. Il faut offrir un espace de liberté et de jeu, au sens que la mécanique donne à ce terme, afin qu’il y ait du jeu social et que les choses puissent bouger.

Venons maintenant sur le rôle de l’école et de l’université. Il est toujours intéressant de se rappeler que le terme école, étymologiquement tiré du grec skolè signifie le loisir. Le luxe antique que peuvent se payer les aristocrates pour s’instruire, étudier, découvrir tandis que la plèbe est astreinte à travailler la terre pour en tirer la nourriture. Nos sociétés modernes ont confisqué au profit du système productiviste ce moment de grâce dans nos existences qui est celui des apprentissages selon la skolè. On ne peut revenir en arrière d’un coup de baguette magique mais cela vaut le coup de le penser et de contester l’utilitarisme jusqu’au sein de l’école. Contester ce tri permanent des individus selon leurs capacités mnésiques et cognitives pour attribuer les places dans la hiérarchie sociale. Être scolarisé, étudier, c’est incontestablement un enrichissement mais il y a un revers à la médaille dans la mesure où plus on avance dans les études, plus le domaine dans lequel on acquiert des connaissances se rétrécit, se spécialise et diminue l’appétit pour d’autres domaines de connaissances. Il faut donc consentir à un certain renoncement, à une certaine spécialisation pas toujours vraiment choisie.

L’enjeu de l’éducation inclusive dès l’école est un enjeu pour l’avènement d’une société inclusive. C’est même la responsabilité de l’éducation et des institutions éducatives de faire du commun avec du divers, de trouver du commun dans du divers.

Il faut se méfier de l’utilisation fréquente de l’inclusion dans des expressions comme « inclusion d’élèves handicapés ». C’est un piège, car en faisant suivre « inclusion » d’un complément de nom, c’est d’intégration dont il est question puisqu’on désigne des personnes et non un contexte, une organisation ou une institution, c’est-à-dire un périmètre au sein duquel vivent et agissent des personnes diverses.

Les périodes schématiquement présentées comme celle de l’exclusion, de la ségrégation, de l’intégration et de l’inclusion ne se succèdent pas en se remplaçant totalement l’une l’autre. Les formes d’organisation les plus archaïques (exclusion et ségrégation surtout) subsistent largement aujourd’hui malgré la période récente axée sur l’intégration et celle plus récente encore d’émergence de l’inclusion. Les pratiques actuelles restent encore marquées par l’intégration, la ségrégation voire l’exclusion. Ce qui distingue ces trois dernières formes d’organisation de l’inclusion, c’est qu’elles sont réalisables et observables durablement. En effet, il est facile d’organiser de l’exclusion et de la ségrégation. Pour l’intégration, c’est un peu plus difficile car il faut agir sur la personne pour la conformer à des attentes normatives auxquelles elle ne se soumet pas forcément facilement. En revanche, en ce qui concerne l’inclusion, elle est plutôt un horizon vers lequel tendre dans la mesure où toute nouvelle personne entrant dans le milieu, du seul fait de sa singularité, est susceptible de nécessiter une modification de celui-ci. Ce processus de modification est en permanence un défi qui réclame une inflexible volonté et de l’inventivité pour réaliser les adaptations nécessaires.

Il faut donc penser l’inclusion dans une perspective communautaire totale. A l’échelle d’une université comme la nôtre, il importe de ne pas se limiter à penser l’inclusion sous l’angle des personnes concernées par les rapports d’enseignement – apprentissage. Il faut aller beaucoup plus loin et penser à toutes les autres catégories de personnels et d’acteurs (personnels de service, de soutien, d’administration, d’entretien, de surveillance, etc.) Toutes ces personnes doivent pouvoir bénéficier de la perspective inclusive de développement de l’université comme lieu de travail et d’accomplissement pour elles.

En milieu scolaire, l’inclusion nécessite de dépasser la vision du seul soutien à l’élève selon un repérage préalable de besoins même si cela peut rester utile, il faut – et la recherche le montre – penser au soutien aux personnes enseignantes afin de leur donner les moyens et la compétence pour réaliser leur mission au profit de la diversité des élèves.

Plus finement encore, il faut distinguer entre le contexte, l’environnement de l’activité pédagogique qui nécessitent des aménagements globaux et la situation précise des interactions qui sont en jeu au sein même de l’activité. On parle beaucoup de conception universelle de l’apprentissage (CUA), de différenciation pédagogique, c’est très important, il faut commencer par là. Mais il ne faut pas perdre de vue ce qui se réalise dans une situation qui met en relation et en interaction des individus singuliers ici et maintenant, situation dans laquelle chacun est irremplaçable à la place qu’il occupe. Quand l’enseignant·e entre dans la classe, même s’il s’agit d’un·e stagiaire débutant·e, les actions que cette personne va réaliser, le type de relation pédagogique qu’elle va établir avec les élèves la rendent irremplaçable dans ce moment-là. Qui d’autre interviendrait pour s’y substituer changerait profondément le vécu des protagonistes. En tant qu’enseignant, - et en formation – il faut en prendre conscience et considérer ce métier comme un art qu’on approfondit plutôt que comme une technique dont il faudrait perfectionner le protocole d’action.

Les pédagogies émancipatrices (littéralement « qui permettent de sortir de la main qui vous tient »), les pédagogies de la coopération, les pédagogies institutionnelles issues du courant de l’éducation nouvelle (congrès de Calais en 1921) sont plus prometteuses pour offrir aux élèves un environnement d’apprentissage qui fasse place à leurs singularités d’allure de vie tout en construisant une communauté pour apprendre, un monde commun, ce qui est la définition même de l’inclusion. La rigidité des pédagogies magistrales, descendantes, frontales ne peut accomplir cela.

Pour finir, je vous invite à partager cet ensemble de questions : et les plus vulnérables, et les plus silencieux ? Celles et ceux qui sont tenus à l’écart de la vie publique, qui ne montent pas sur l’estrade. Qui parle avec eux ? Qui parle pour eux ? Avec quelle légitimité ? Je pense par exemple à des enfants qui, dans certaines classes, sont traités comme des objets d’une éducation réductrice qui a pour premier objectif de réduire leurs comportements jugés comme dérangeants ou inappropriés. On fait de la réduction de ces manifestations de leur personnalité singulière un préalable à l’offre d’instruction, de culture et de socialisation en les isolant, c’est-à-dire en les privant précisément de faire l’expérience d’interactions sociales authentiques propices à leur développement. Qui parle avec eux ? Qui entend leurs désirs, leurs attentes en termes d’apprentissages et d’accomplissement de soi ? Qui parle pour eux ? Qui décide pour eux ? Qui en a la légitimité ?

Je finirai en partageant avec vous un petit bonus, "l'alterligence, un mot que j'ai "inventé" pour nous :   https://ecolatre.blogspot.com/2020/09/alterligence.html

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